meteorite

Lorsqu’il était titulaire de la Chaire d’Esthétique de l’Université Catholique de Vienne, Oskar Serti voyait dans les examens de fin d’année une occasion inespérée d’avoir un tête-à-tête avec ses étudiantes préférées. Avant le passage de chacune d’entre elles dans son bureau, il épinglait fébrilement sur le battant de la fenêtre, un petit morceau de papier où il avait inscrit à l’encre rouge : « Ne regardez surtout pas au plafond ». Au cours de l’entretien, les jeunes filles ne manquaient jamais de tomber sur son inscription. Profondément troublées par les effets pervers de cette étrange recommandation, aucune, malgré une apparente indifférence, ne parvenait à résister à la tentation. Rongées par une trop éprouvante retenue, elles bravaient toutes un instant l’interdit en jetant éperdument les yeux au plafond, comme brutalement attirées par une force mystérieuse.
Le temps de leur naïf abandon, rien n’empêchait alors Serti de les déshabiller impunément du regard.
Lors de sa dernière année d’enseignement, Oskar Serti voulut garder un souvenir de ces moments privilégiés, et dissimula habilement une caméra entre deux livres de sa bibliothèque.
Plus tard, lorsqu’il visionna ses films clandestins, il fut ébloui par l’extraordinaire expression d’émerveillement qui émanait de ses étudiantes lorsqu’elles regardaient au plafond. Gonflé d’amertume, il prit alors conscience que jamais il n’avait partagé cette intense émotion avec elles, trop esclave, au moment des faits, de ses bas instincts.
Une fraction de seconde, Serti eut l’intention de retourner dans son ancien bureau, pour goûter enfin aux vertus de ce plafond qu’il avait stupidement négligé durant tant d’années ; puis il se rebiffa, soudainement envahi par le soupçon que peut-être ses étudiantes s’étaient jouées de lui ; peut-être avaient-elles simulé à tour de rôle une profonde béatitude, pour le seul plaisir de l’amener lui aussi à lever la tête.